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Quotas ou objectifs chiffrés : pourquoi j’ai changé d’avis

« Non, non, non ! Pour être choisie pour son statut de femme, et non pour ses compétences ? Certainement pas. Je ne veux pas de passe-droit et je veux être acceptée pour mes compétences au même titre que mes collègues masculins. » Voilà les propos que je tenais il y a quelques années, persuadée que le système actuel reposait sur la méritocratie et qu’il n’y avait aucune raison que les femmes compétentes n’arrivent pas à faire leur place.

J’ai longtemps pensé que la forte représentativité masculine dans les postes à responsabilité à l’hôpital, notamment dans les spécialités chirurgicales, n’était que le reflet d’un patriarcat ancestral et dépassé, et qu’il ne restait que peu de temps avant que ma génération renverse cette tendance. Mais les années passant, gravissant les échelons, je me rendais compte que de moins en moins de mes collègues étaient des femmes et que je restais, encore et encore, trop souvent seule femme dans la pièce. La faute aux biais inconscients, ces infimes petites inflexions qui s’immiscent insidieusement dans toute ascension hiérarchique, quel que soit le milieu professionnel ou socio-culturel, et dont on prend conscience trop tardivement.

Il est donc parfois nécessaire de prendre de la hauteur et de regarder ce qui se passe ailleurs, dans certaines entreprises déjà engagés sur ces questions de parité.

J’aime me rappeler l’exemple de l’orchestre philarmonique de Vienne qui a levé son interdiction de titulariser les femmes en 1997 (lorsque le gouvernement autrichien menace de coupes budgétaires). L’orchestre avait alors autorisé les femmes à se présenter aux auditions, sans pour autant en retenir (sur des arguments de compétence moindre que tout le monde trouvait légitime : moindre puissance du son, moindre créativité artistique). Jusqu’à ce qu’on se risque à faire passer des auditions à l’aveugle, derrière un paravent, qui masquait le visage de l’interprète et gommait ainsi les biais inconscients des membres du jury. Grâce à cet artifice, il ne fallut que quelques mois pour que l’orchestre intègre une très large proportion de femmes parmi ses titulaires.

Dans le milieu de l’entreprenariat, lors d’une candidature à un poste à responsabilités, et lorsque le décideur est de sexe masculin, il n’y a aucune chance qu’une femme soit retenue pour le poste s’il n’y a pas un minimum de 60% de CV féminins sélectionnés au départ. Ainsi, certaines entreprises mettent en place des mesures visant à équilibrer ce biais de recrutement : parmi les CV retenus et autorisés à être auditionnés, 50% de CV féminins et 50% de CV masculins, et, à la place d’un seul décideur pour le recrutement d’un collaborateur, un panel composé d’hommes et de femmes en proportion équivalente. C’est à ce prix seulement qu’on garantit un accès égalitaire à certains postes.

Bien sûr, égal ne veut pas dire identique, et dire que les hommes et les femmes sont égaux ne signifie pas que les hommes et les femmes n’ont pas de différences. Cela signifie simplement que ces différences ne doivent pas se traduire par différents niveaux d’accès aux opportunités professionnelles. En d’autres termes, les femmes n’ont pas à être meilleures que les hommes pour accéder aux même responsabilités qu’eux.

Et si les quotas ne sont certainement pas une solution parfaite, l’expérience nous rappelle l’échec des démarches incitatives en faveur de l’égalité, la lenteur de leur mise en œuvre et l’absence d’amélioration significative de la situation, soulignant la nécessité d’une impulsion forte des lois et règlementations pour avancer et enfin obtenir des résultats concrets. Bien sûr, ces efforts risquent d’être contre-productifs s’ils génèrent des réactions d’opposition sous prétexte de discrimination positive (« des femmes pour des femmes », leurs mérites passant après leur identité de genre).

La mise en place de quotas dans certaines instances économiques et/ou politiques fait en effet grincer des dents. Soit, nous explique Brigitte Grésy lors de la web-émission Donner des Elles à la Santé, parlons alors d’« objectifs chiffrés ». Il n’est bien sûr pas question de favoriser les femmes aux dépends d’une méritocratie qui se devrait d’être la norme. Il n’est par contre pas acceptable de sacrifier celles qui, méritantes, ne trouveront pas le soutien et la bienveillance nécessaire pour aller au bout de leurs ambitions. L’idée est donc, à compétence égale, de choisir le candidat du sexe le moins représenté jusqu’alors, afin de favoriser la mixité et enrichir le groupe avec des profils différents. La diversité est effectivement reconnue comme un facteur de performance avec des décisions plus équilibrées dès lors que les femmes sont davantage représentées au sein des comités exécutifs.

Si certains ont peur de se retrouver à nommer des femmes incompétentes, peut-être peut-on leur rappeler que la nomination d’hommes incompétents n’a jamais été un problème jusqu’alors. Toute nomination a un poste de responsabilité expose à un risque d’échec, que l’on un homme ou une femme. Comme le disait si justement Françoise Giroud en 1983: « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »

Dr Geraldine Pignot

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