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#Metoo Hôpital : l’heure du changement a-t-elle vraiment sonné ?

A l’instar des récentes révélations concernant le monde du cinéma, l’hôpital tremble depuis quelques jours sous le feu des médias. Et si on décortiquait un peu le phénomène…

Il y a 10 jours, les médecins se réveillent avec une véritable bombe à retardement qui explose dans un journal à grande audience. Un article de Karine Lacombe levant le voile sur les comportements sexistes de Patrick Pelloux fait le buzz et la vague #metoo hôpital est lancée. Il aura fallu le courage et la détermination de celle que les médias connaissent déjà bien depuis la crise Covid, pour qu’une oreille attentive se dresse enfin sur cette « épine dans le pied » qui gangrène l’hôpital depuis trop longtemps : les violences sexuelles et sexistes (« VSS » pour les intimes). Alors pourquoi maintenant ?

La théorie de la Graine et du Sol (Seed and Soil) m’a toujours fascinée ; en cancérologie, elle permet d’expliquer la raison pour laquelle certaines cellules tumorales ayant acquis la capacité de migration vont aller s’implanter sur le terreau fertile d’un organe « hôte » donné. Il faut pour cela une Graine, la cellule métastatique, et un Sol, terre d’accueil favorable à l’ancrage et à la croissance de la lésion secondaire. Il en va de même pour les VSS.

La graine existe depuis bien longtemps, il s’agit même, de manière emphatique, d’un ver dans le fruit. L’association Donner des Elles à la Santé (dont je fais partie) chiffre depuis 4 ans les discriminations genrées et comportements sexistes à l’hôpital et son constat est sans appel : 78% des femmes ont déjà été confrontées à des comportements sexistes (72% des hommes en ont été témoins) et 30% d’entre elles ont été victimes d’attouchements, voire d’agressions sexuelles.  Plus grave, moins de 20% d’entre elles en ont parlé à leur supérieur hiérarchique ou à leur direction hospitalière, et dans la majorité des cas, aucune mesure spécifique n’a été prise à l’encontre de l’auteur des faits. C’est cette impunité des puissants, sur fond d’omerta, qui empêchait jusqu’alors la libération de la parole.

Le sol, c’est le contexte sociétal actuel et la possible médiatisation grâce à une femme dont la notoriété et les compétences ne peuvent plus être remises en question. La crise Covid aura eu l’inconvénient de creuser l’écart entre les femmes et les hommes en termes de sollicitation dans les médias, avec une invisibilisation de celles qui représentaient pourtant la grande majorité des effectifs sur le terrain. Karine Lacombe tire son épingle du jeu, grâce à sa légitimité, son mérite et son ultra-compétence sur le sujet. Cela n’empêchera pas les critiques en tout genre de ceux qui pratiquent depuis trop longtemps l’ultracrépidarianisme et qui se sentent flouer dans leur imposture médiatique (on parlera un autre jour de l’effet Dunning-Kruger…). La crise Covid aura donc eu aussi, et contre toute attente, l’avantage de faire émerger une figure féminine forte et emblématique, au sein d’un corps médical encore trop souvent représenté par des hommes à l’écran (Patrick Pelloux en première ligne). Un grand pouvoir impliquant de grandes responsabilités (ce n’est pas qu’une citation issue de Spiderman), Karine Lacombe assume sa position et porte courageusement le sujet des VSS sous la lumière des projecteurs. Le moment est propice, les systèmes patriarcaux se fissurant de toute part et dans tout milieu.

La Graine a enfin trouvé son terreau. L’humanité découvre alors, horrifiée (et peut-être encore plus face à notre inertie et notre pouvoir d’acceptation), le caractère systémique de ces VSS dans un milieu où le népotisme hiérarchisé a verrouillé toutes les issues de secours. Une nécessaire mise en lumière, car malheureusement les alertes du terrain ne suffisent pas toujours à faire avancer la cause. Il faut parfois un coup d’éclair dans un ciel serein… La médiatisation est parfois salvatrice, et survient finalement comme un catalyseur qui vient résolument arroser cette petite graine plantée au bon endroit au bon moment.

Depuis plusieurs années cependant, les lignes bougent et la politique « Tolérance Zéro » (déjà largement promue dans plusieurs secteurs publics en dehors du médical), a été posée comme une des pierres angulaires du plan Egalité Professionnelle de nombreux établissements de santé. Début 2024, c’est plus de 100 établissements qui se sont d’ores et déjà engagés en signant une Charte « Donner des Elles à la Santé ». Un partenariat fort a également été mis en place en 2023 avec la DGOS et le CNG, avec une certaine lucidité quant à la vigilance particulière à apporter aux VSS. Les associations et syndicats d’internes ont également été particulièrement actifs depuis quelques années, alertant par des enquêtes et des actions de sensibilisation sur ce fléau qui pèse sur l’attractivité des carrières, à l’heure où la majorité des étudiants en médecine sont des femmes. D’autres, au contraire, ont préféré faire l’autruche, prétextant qu’il n’y avait pas de problème, tout au moins pas péril en la demeure (pas encore, dirons-nous rétrospectivement) ; ceux-là même qui aujourd’hui s’achètent une conscience en réagissant médiatiquement à ce #Metoo Hôpital, promettant impartialité, transparence et soutien aux victimes. Il faudra être capable de faire la part des choses entre les paroles et les actions, dès lors que la boîte de Pandore est ouverte.

Quel que soient les aspirations et la sincérité de chacun, nous avons franchi un point de non-retour. Comme la prise de parole de Judith Godrèche a fait vaciller le monde du cinéma, celle de Karine Lacombe a généré moult réactions, tribunes et pétitions, qui ne nous laissent pas d’autres choix que de faire notre travail d’introspection et laver à grande eau le déshonneur de notre profession.

Parce que nous avons choisi de faire le plus beau métier du monde ; parce que nous avons une responsabilité à endosser face aux jeunes générations qui nous regardent nous débattre dans ce marasme, mais également face à nos patients qui comptent sur notre intégrité et notre honnêteté ; parce que nous croyons à un avenir meilleur, un avenir où le système que nous avons cautionné (bien malgré nous) pourra enfin être déconstruit ; accélérons le changement sans faire l’erreur du clivage, des prises de position masculinistes et des contre-argumentations stériles. Avançons ensemble vers un hôpital plus juste, plus respectueux, et dans lequel nos externes et internes auront envie de s’investir.

Dr Geraldine Pignot

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