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2024 : l’année de la prise de conscience intersectionnelle

Une nouvelle année débute et avec elle nos bonnes résolutions. Bonnes résolutions certes, mais aussi doutes et incertitudes quant à l’avenir, dans un contexte mondial et sociétal où les conflits se multiplient.

Que souhaitez aux femmes pour 2024 ? Ou devrais-je plutôt dire : que souhaitez à l’humanité en 2024 ? Car les questions qui touchent à l’égalité femmes-hommes impactent indéniablement notre avenir à tous.

Le constat de cette fin d’année 2023 nous montre que le chemin est encore long. Les féminicides ne diminuent pas et, invariablement depuis 20 ans, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Parallèlement, les droits des femmes reculent un peu partout dans le monde, victimes ici d’un islamisme radical, ailleurs de décisions de Cour suprême au goût de totalitarisme (comme la révocation de l’arrêt dit Roe vs Wade qui accordait depuis un demi-siècle aux Américaines le droit d’avorter dans tout le pays). Les violences faites aux enfants suivent manifestement la même cinétique, avec un remaniement majeur de la Ciivise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants), incluant la mise à l’écart du juge Durand dont l’intégrité et la persévérance ont tant apporté à la cause. La représentativité des femmes sur les postes à responsabilité régresse en politique avec l’avènement d’un nouveau gouvernement où seul un poste de ministre régalien est occupé par une femme, et où l’entre-soi semble avoir retrouvé ses lettres de noblesse. La victimisation des auteurs de violences sexistes, avec des tribunes de soutien déconnectées et des prises de parole contestables, nous rappelle que l’impunité des puissants est encore de mise. Enfin, les conflits mondiaux qui s’enlisent, soutenus par un virilisme exacerbé qui pousse à conquérir encore et toujours, des territoires et des peuples, au nom d’idéaux politiques ou religieux, toujours aux dépens des populations, et notamment des plus faibles (femmes et enfants).

Oui, mais, dans ce tumulte sociétal, et au-delà des récits dystopiques, une prise de conscience collective me laisse entrevoir une lueur d’espoir.

Les féminicides sont aujourd’hui reconnues comme tels et dûment nommés. Il y a 20 ans, je restais dubitative sur les raisons qui avaient pu pousser Bertrand Cantat à commettre un « crime passionnel » en fracassant le crâne de sa bien-aimée sur le bord du radiateur. Aujourd’hui, je comprends, comme une grande partie des français, qu’il ne s’agissait pas d’un simple « accès de folie » sous « emprise de la drogue », vocables qui nous rendaient la chose compréhensible et presque acceptable, mais tout bonnement d’un féminicide, terme qui a le mérite de nous rappeler toute l’horreur qu’il y a derrière, sans duper, sans cacher, sans minimiser. Mal nommer les choses, jugeait Albert Camus, c’est ajouter au malheur du monde.

Pour ce qui est de la représentativité des femmes aux postes à responsabilité, en politique comme ailleurs, l’opinion publique est désormais sensibilisée, voire éveillée, à cette inégalité des chances ; les journalistes ne lâchent rien au débat sous-tendu qu’est celui de la discrimination dans les jurys de sélection et des biais de recrutement qui inlassablement lèsent les femmes, à l’image de cette question ouvertement posée au président de la République lors de la conférence de presse, allant jusqu’à questionner la recevabilité de faire de l’égalité femmes-hommes la grande cause du quinquennat. Dans ce jeu de chaises musicales que nous impose le gouvernement, les femmes sont doublement perdantes ; sans prétendre pouvoir atteindre les ministères régaliens, elles sont souvent placées sur les postes critiques, où la situation est indigente et où l’échec est malheureusement prévisible. C’est le « glass cliff », la falaise de verre (allégorie du plafond de verre, mais à un niveau supérieur), phénomène bien identifié qui consiste à positionner des femmes à des postes de leadership en situations de crise. Oui, mais les femmes ont mis le pied dans l’entrebâillement de la porte et le discours de passation de pouvoir d’Elisabeth Borne, empreint de sororité, nous le rappelle « En prenant mes fonctions, j’avais adressé un message à toutes les petites filles, en leur disant d’aller au bout de leurs rêves […] Je pense que mon exemple démontre que, quel que soit son parcours, tout est possible. Tenez bon, l’avenir vous appartient ! »

Lueur d’espoir également autour du MeeToo artistique qui s’opère aujourd’hui à partir de l’ « affaire Depardieu ». J’ai suivi les débats et prises de position avec un certain intérêt, retrouvant là les mêmes mécanismes que ceux appliqués depuis des années dans le milieu médical. Décortiquons un peu la situation. D’abord, la perception des comportements sexistes qui change avec l’évolution sociétale ; ce qui était considéré comme une « petite blague gentillette » auparavant, est aujourd’hui qualifié juridiquement et nous parait désormais absolument inacceptable. Ensuite, l’impunité des puissants qui se fissure ; longtemps considérée comme intouchables, certains personnages chutent de leur piédestal, la raison du déshonneur étant souvent celle pour laquelle ils ont été précédemment adulés. Le rôle des journalistes et de la presse, qui donnent son éclairage et se positionne, quand la justice tarde encore à le faire ; il faut alors du courage pour faire entendre sa voix, prendre position, défendre et apporter un soutien aux victimes concernées, plutôt qu’adopter la sempiternelle stratégie de victimisation des agresseurs. Enfin, et surtout, l’entourage et le milieu professionnel qui d’abord cautionnent, dans une tribune quasi insoutenable d’un point de vue éthique ; car c’est là la seule façon de taire la complicité malsaine dans laquelle ils se sont complaints pendant toutes ses années en alimentant, par leurs silences, la perversité du système. Comme dans une guerre, les agresseurs ne peuvent agir que grâce à un environnement permissif qui se met en place autour (de l’éternel question de savoir si nous aurions été dans le camp des résistants ou dans celui des collabos…). Le cinéma ne fera pas exception ; comme dans d’autres milieux, c’est un système entier qui s’effondre sous le poids des mouvements sociétaux explosant le plafond de l’omerta en place. Les contre-tribunes qui ont suivies nous le montrent bien ; les nouvelles générations (sans faire d’âgisme car plusieurs artistes de l’ « ancienne époque » les ont également suivis) ne cautionnent plus et s’élèvent au nom de valeurs qui leur semblent devoir prévaloir sur cet entre-soi qui règne et protège envers et contre tout (sous prétexte de l’art aujourd’hui, du compagnonnage demain…).

Alors oui, il y a de l’espoir pour 2024. Il faut pouvoir tenir les engagements sur le long terme et rien n’est plus dur que de conserver ce qui a été acquis. Simone de Beauvoir nous le disait si bien : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Dr Geraldine Pignot

2 Commentaires

  1. Bravo chère consœur , il faudrait que plus de femmes ayant une place dans la société se lèvent et parlent comme vous le faites

  2. Bravo cher consœur, vos propos sont de bon sens, il faudrait que plus de femmes ayant une position dans la société prennent la parole

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