« Les hommes finissent par avoir peur. Il faut faire attention à ça, parce que ça annihile beaucoup de volontés et d’engagements publiques, politiques, associatifs […]. Moi j’aimais bien les chansons paillardes, je m’en rappelle encore, c’était il y a 40 ans. J’aimais bien les blagues contre les arabes, moi ça me fait rire ; et contre les juifs aussi. Et aujourd’hui on ne peut plus […]. Il faut faire attention à ne pas basculer dans les extrêmes […] et ces femmes aussi parce qu’il n’y a pas que les hommes qui… enfin, il y a aussi des femmes qui agressent ; les hommes battus, ça existe. »
Cette allocution vous choque ? Elle a été prononcée cette semaine par le président de la FHP lors des 23emes Rencontres de la Fédération des Hôpitaux Privés à Nancy1.
Il s’agit du grand rendez-vous annuel des femmes et des hommes qui, au sein des 1000 hôpitaux et cliniques privés, prennent en charge et soignent chaque année 9 millions de patients partout en France. L’association Donner des Elles à la Santé y était invité et le Dre Coraline Hingray, vice-présidente et référente VSS (violences sexistes et sexuelles), a rappelé la banalisation de ces comportements au sein de nos établissements, publics comme privés. Dans les établissements privés, les médecins ne dépendent pas du Centre National de Gestion (CNG) mais sont sous l’autorité directe de leur directeur d’établissement ce qui, théoriquement, pourrait permettre un traitement plus rapide des signalements.
Et pourtant, les propos entendus à la fin de cette table ronde ont balayé d’un revers de main les efforts de sensibilisation et la prise de conscience collective. Loin de dénoncer des propos qui me semble venir d’un autre monde, je préfère les analyser dans le contexte actuel. A elle seule, et au-delà du simple déni, cette déclaration cumule plusieurs mécanismes de défense des hommes qui entrent dans une position de masculinisme.
La victimisation d’abord (« les hommes finissent par avoir peur ») et le renversement de la culpabilité (« il y a aussi des femmes qui agressent »). En plein procès des viols de Mazan, où les avocats des 50 co-accusés de Dominique Pélicot ont finalement obtenu un huit clos partiel au nom de la « dignité » de leurs clients et contre le souhait de Gisèle Pélicot, on n’est pas sûr que la honte soit réellement en train de changer de camp…
Ensuite, le sexisme et le racisme banalisés, l’esprit carabin excusant tout. Aimer les chansons paillardes et les blagues discriminatoires ne veut pas dire qu’on doit les imposer à tous, dans un milieu qui se devrait d’être bienveillant, et sans savoir si ces propos blesseront, voire feront changer de voie les plus fragiles (combien de droit au remord après un premier stage de chirurgie ?).
On termine par un peu de déni autour de l’homophobie : « Ça va mieux. Je trouve quand même qu’on en parle beaucoup (ndlr : trop ?) et que ça devient presque naturel. »
Pourtant quand la journaliste, qui, à moult reprises, a comparé ce mouvement MeToo à l’hôpital à ce qui se passe dans les médias, l’interpelle en lui suggérant que les juifs et les arabes en face aimaient probablement moins ce genre de blagues, il répond sans sourcilier : « Je suis arabe donc je peux en parler simplement. ». Preuve qu’on peut appartenir à un collectif discriminé et ne pas en comprendre toute la dimension, voire cautionner au nom d’un système, pour (ô graal ultime !) être enfin accepté et intégré dans cette grande caste de la salle de garde. Un phénomène qu’on observe bien souvent chez certaines femmes qui vont défendre ce qu’elles ont connu comme étant la norme à l’hôpital, sans se rendre compte qu’elle creuse la tombe des générations futures. Une sorte de syndrome de Stockholm finalement… ou comment je m’auto-persuade de n’avoir pas été vraiment concernée, pour ne pas avoir à me dire que j’ai été complice par le silence.
Le silence, parlons-en. Là-encore, l’affaire Mazan nous en dit long sur le positionnement des hommes. Peu d’entre eux ont un avis, la plupart considérant que ça ne les concerne pas (« Not all men »). Pourtant, comme je l’ai lu sur les réseaux : « ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’obus dans votre jardin, que la guerre n’a pas lieu » (sic). On ne peut plus collectivement fermer les yeux sur ce qui se passe… individuellement non plus. Ne pas s’exprimer, c’est cautionner, c’est laisser faire, c’est se désintéresser d’une problématique sociétale qui concerne (ou concernera) nos femmes et nos filles dans un avenir proche. Un avenir qu’on ne veut plus imaginer ainsi. La tribune signée hier par 200 personnalités hommes contre la domination masculine2 nous rappelle que face à une injustice, il n’y a que deux chemins, celui de l’indignation ou de l’indifférence. L’un est un combat, l’autre une soumission.
Alors, à chaque prise de parole déplacée, à chaque glissement de terrain, gardons notre capacité à nous indigner et ne restons pas dans l’indifférence. Continuons à avancer, pour ne plus jamais devoir reculer.
Très bonne analyse…! confirmant – hélas – l’immensité du chemin restant à parcourir ! Merci à vous et bravo
J’ apprécie infiniment cette analyse, et ce positionnement. Merci bcp
Très bonne analyse du contexte. Merci