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Les « rôles modèles » ou l’héritage des pionnières

Quand on parle de leadership féminin, la notion de « rôle modèle » revient souvent. Défini par le sociologue américain Robert King Merton, le « role model » est une personnalité dont le comportement, l’exemple ou le succès peut être imité par des tiers. Merton formule ainsi l’hypothèse que les individus se comparent à des groupes de référence, qui exercent une position sociale à laquelle aspirent les plus jeunes générations. Ce terme a été plus récemment repris dans le contexte de l’égalité professionnelle, au même titre que les concepts de plafond de verre, de réseautage, de mentorat et de gatekeeper, pour identifier et contrecarrer les freins rencontrés par certains groupes non-dominants dans l’évolution de leurs carrières.

En français, ce terme peut parfois prendre une connotation contre-productive, la notion de modèle renvoyant à un idéal de réussite, alors que l’expérience vécue importe souvent plus que la réussite en soi dans l’accompagnement des plus jeunes. Difficile de s’identifier soi-même comme un rôle-modèle quand on ne perçoit pas l’impact de notre développement personnel sur d’autres. Le milieu médical en recèle pourtant. On parlera davantage d’« exemples féminins » plutôt que de « rôles modèles », et de « compagnonnage » (terme identificatoire en médecine) plutôt que de « mentorat ».

En médecine, et notamment dans les spécialités chirurgicales, l’un des freins identifiés à l’épanouissement des femmes dans leur carrière professionnelle est le manque de « rôle modèle ». Pire, les figures féminines sont parfois à l’opposé de ce que l’on attend d’elles, dans une masculinisation presque exacerbée mais sans doute nécessaire à leur acceptation dans le cercle social tracé par un patriarcat écrasant (phénomène de covering). Renonçant à leur vie familiale, pour se sur-investir à l’hôpital, ces figures féminines n’ont malheureusement pas eu le choix et portent sur leurs épaules la charge d’un lourd héritage. Souvent hyper-compétentes dans leur domaine (bien plus que leurs collègues masculins car il fallait au moins ça pour daigner être considérées comme leur égal), elles gravitent loin devant dans un espace temporo-spatial inaccessible pour le commun des mortels. Quelques pionnières sont venues balayer d’un revers de bras cette vision erronée de la réussite, en montrant qu’un épanouissement personnel et familial était également possible et tracer la voie d’un équilibre paritaire au sein de leur foyer comme dans le cadre professionnel.

Nous avons toutes et tous rencontré un (plusieurs, si on a été chanceux) « rôle modèle » et les citer en exemple est important ; je vous invite à le faire dans les commentaires que vous pourrez laisser sur cet article (#balancetonrolemodele). Le mien s’appelle Delphine Amsellem-Ouazana, brillante PHU à l’hôpital Cochin quand je commençais mon internat dans un service d’urologie où la parité était déjà acquise (je mesure aujourd’hui la chance que j’avais alors). Non contente d’être une excellente chirurgienne, elle menait de front son habilitation à diriger des recherches (HDR) et sa vie de famille bien remplie (3 enfants en bas âge) ; le tout avec une élégance distinguée qui ne suscitait pas que l’admiration de la part ses collègues masculins, mais au contraire une forme de jalousie déplacée (« comment peut-elle trouver le temps d’avoir toujours un brushing impeccable ? », « il paraît qu’elle part parfois plus tôt pour récupérer ses enfants ? »). Elle a sans nul doute été, sans s’en rendre compte, une source d’inspiration pour la suite de ma carrière. Au-delà de ses conseils avisés (« on ne peut pas se permettre de faire les mêmes choses que nos collègues masculins », ou bien encore « jamais de jupe, ni de décolleté quand on fait une présentation orale », à remettre dans le contexte de la forte concentration masculine parmi les urologues) que je n’ai d’ailleurs pas toujours suivi, elle a été un exemple et a ouvert le champ des possibilités. Malheureusement victime d’une injustice criante, que nul n’ose nommée par son petit nom (discrimination genrée), elle a aussi révélé à mes yeux innocents les obstacles qu’il restait encore à franchir quand on est une femme dans un milieu masculin, et la difficulté d’être acceptée en tant que telle. Simone Veil le dit si bien : « Ma revendication en tant que femme c’est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m’adapter au modèle masculin. » Quand Simone veille…

Dr Geraldine Pignot

4 Commentaires

  1. Mon model a été Françoise Lapierre, neuro-chirurgien chef du service de neuro-traumatologie Tours, où j’ai fait mon premier stage en tant qu ‘externe. Je voulais devenir chirurgien (je le suis aujourd’hui). Elle m’ a dit « attention sophie, quand on épouse la chirurgie, on n’épouse souvent que cela! ». J’ai toujours préféré vivre en union libre!

    • Coucou,
      Je suis femme et chirurgien viscéral retraité de 67 ans
      Alors que je ne voulais absolument pas faire cette spécialité j’y ai été encouragée voire poussée par mon boss (et son épouse) et ses internes (que des hommes) au cours de mon avant-dernier stage d’externe en 6e année : c’est vrai que j’avais eu un coup de foudre pour la chirurgie !
      À cette époque, il y avait environ 1 % des chirurgiens à être des femmes. Je n’ai jamais voulu utiliser pour moi le féminin « chirurgienne ».
      Je suis mariée depuis 40 ans avec un médecin généraliste, retraité aussi à présent, que j’ai rencontré au bloc en étant interne : c’était mon externe !
      Nous avons eu de nombreux enfants, très près de la médaille d’or de la famille nombreuse.
      J’assume mon possible « rôle modèle » vis-à-vis d’une de mes filles : les difficultés logistiques de notre foyer ne l’ont pas dégoûtée du métier de sa mère, qui est le sien à présent. Elle m’a confié quand elle avait 14-15 ans qu’elle voulait « faire un métier où aider les autres », et « devenir chirurgien » : j’ai été très touchée de cette vision de mon métier !
      Je précise que ma fille est mariée, et à 2 adorables petites filles 🙂

  2. Bonjour je suis chirurgien pédiatre j’ai 53 ans et j’ai eu la chance d’avoir Madame le professeur Fékété comme modèle à l’hôpital des enfants malades
    Elle était une pionnière dans cette spécialité !
    J’ai eu le coup de foudre lors de ma deuxième année de médecine lors d’un stage en chirurgie pédiatrique et cette spécialité a toujours été une évidence pour moi
    Si c’était à refaire je referai le même choix
    Dans ma génération n’étions que très peu de femmes bien que cette spécialité soit probablement la plus féminisée
    Il a fallu jouer des coudes et serrer les dents lorsque les patrons ont fait des choix par rapport à mes collègues masculins
    J’ai néanmoins rebondi entraînant toute la famille dans une région différente
    Je suis mariée à un chirurgien viscéral qui comprend mes difficultés
    j’ai six enfants dont cinq filles auxquels j’ai expliqué qu’il n’y avait pas de différence dans les études et leur carrière
    Actuellement l’aînée est interne de chirurgie maxillo-faciale et la troisième envisage après l’ECN la neurochirurgie
    Les aléas domestiques de leurs parents ne les ont pas dégoûtées de ce métier ! Elles en connaissent les inconvénients
    Je les encourage en leur expliquant qu’elles auront toujours plus de difficultés puisqu’elles sont des femmes à tout mener de front et qu’elle ne restent pas moins féminines dans leur métier !!

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