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Tribunal médiatique ou société d’inquisition ?

Il y a quelques semaines, le président de la République défrayait la chronique en prononçant une phrase qui a fait réagir les collectifs féministes : « Nous n’accepterons jamais une société de l’opacité ou de la complaisance. Et nous ne voulons pas non plus d’une société de l’inquisition. ».

Dans cette phrase réside toute la difficulté de traiter d’un sujet sans tomber dans l’excès. Ce qui nous amène à une question : les changements sociétaux ne reposent-ils pas sur des moments de rupture nécessaires à l’évolution des mentalités et au changement culturel et politique ? Cela justifie-t-il nécessairement une forme d’extrémisme dans les prises de position, les décisions et mesures ? En matière de discrimination, c’est ce qu’on appelle la tolérance zéro. Ne rien laisser passer, au risque de laisser une brèche se créer et venir fissurer la base fragile sur laquelle repose l’égalité.

Mais ne rien laisser passer, c’est donc dénoncer, pointer du doigt ce qui ne va pas, demander réparation du préjudice, ou tout au moins reconnaissance de celui-ci. La libération de la parole nous confronte à une réalité qui nous dépasse : les violences sexistes sont partout, dans les vestiaires d’une piscine comme dans les couloirs de Sciences Po, et elles nous ramènent à une vérité qui nous dérange. Cela demande un sérieux effort de remise en question de la société dans laquelle nous évoluons, où les figures symboliques s’effondrent une à une, du présentateur télévisé charismatique au champion de natation, en passant par l’écologiste idéaliste. Ces icônes que nous avons glorifiées sont-elles finalement capables du meilleur comme du pire ? Se sont-elles seulement rendu compte de la dichotomie de leur personnage et de l’émoi que cela peut susciter dans une société habituée à séparer de manière manichéenne le bien du mal ? Cela soulève également une sorte de culpabilité inhérente. Comment avons-nous pu occulter ces comportements, ignorer ce qui se passait, nous rendant ainsi presque complices de ces actes ? Et au-delà de ça, qu’ignorons-nous encore que la libération de la parole risque de faire exploser à notre visage tel une bombe à retardement ? C’est la boîte de Pandore qui vient de s’ouvrir et inonde inexorablement le monde politique, professionnel et juridique. Un tribunal médiatique.

Alors, oui, l’inquiétude est grande de la part de notre président, comme de la part de la démocratie. Ce terme de « société de l’inquisition », sans doute mal choisi car faisant référence à un triste épisode de notre Histoire qu’est la traque par l’Eglise des hérétiques condamnés sans jugement, n’est qu’un cri du cœur : « n’en jetez plus ! ». Nous ne pouvons plus supporter de voir notre monde s’effondrer et nos illusions partir en fumée. Nous ne pouvons plus entendre qu’un chanteur célèbre et adulé par toute une génération a fracassé la tête de son épouse sur un radiateur dans une petite chambre lituanienne, ni qu’un champion paralympique a tiré à cinq reprises sur sa femme enfermée dans la salle de bains un jour de St Valentin. Nous ne voulons plus recevoir en plein visage la violence d’un inceste cautionné par l’intelligentsia politique de l’époque, ni entendre les dizaines de témoignages de ces femmes qui n’ont pas osé à l’époque parler des violences sexuelles que des hommes d’influence leur ont fait subir. Faudra-t-il comme dans Les Animaux malades de la Peste, que certains payent pour les autres, au risque d’une justice encore inéquitaire sur ces jugements ? Et avons-nous vraiment besoin de tout savoir pour comprendre qu’il faut amorcer un changement ? Cette violence, presque insoutenable, à laquelle nous renvoie la libération de la parole, est-elle vraiment nécessaire ?

Et pourtant, l’Histoire nous rappelle que la plupart des évolutions sociétales ont nécessité une révolution (révolution française pour abolir la monarchie absolue, guerre de sécession pour mettre fin à l’esclavagisme) ou un engagement violent de la part de certains militants (grève de la faim de l’Abbé Pierre pour soutenir les demandeurs d’asile, refus de libération de la part de Nelson Mandela pour marquer son engagement contre l’Apartheid). Aujourd’hui, des femmes s’élèvent pour que les dérives passées ne se reproduisent pas et épargnent les jeunes générations. Cela passe malheureusement par l’étape de prise de conscience, parfois douloureuse pour une société, de ces comportements trop longtemps occultés.

Les hommes, loin d’être mis au piloris, ont un rôle majeur à jouer. Prendre position et trouver sa place dans une société où les interactions deviennent équitaires. Exister dans un autre rapport au monde, loin des rapports de domination qui leur ont été imposés par le patriarcat et les stéréotypes de genre. Voilà tous les enjeux de la masculinité aujourd’hui.

Dr Geraldine Pignot

Un Commentaire

  1. tout à fait de votre avis , Mais il reste bien du travail à faire , du côté des hommes mais aussi , hélas du côté des femmes (certains et certaines )

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