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Une année 2024 en demi-teinte pour les femmes

Alors que l’effervescence des fêtes de fin d’année a tout balayé, depuis l’instabilité ministérielle jusqu’aux conflits internationaux, et que ne règne plus que la douce chaleur de se retrouver en famille, me vient l’envie de dresser une rétrospective de cette année 2024 qui me laisse un goût aigre doux.

Pourtant cette année avait plutôt bien commencé pour les droits des femmes avec l’entrée dans la Constitution de la liberté garantie des femmes à recourir à l’IVG. Un moment fort qui nous a rappelé le combat de Simone Veil et de toutes celles qui, après elle, ont continué à œuvrer pour que plus jamais l’on ne recule sur ce qui avait été acquis de dur labeur.

La prise de conscience autour du mouvement #MeToo Hôpital a également été un coup de tonnerre (dans un ciel pas si serein), révélant au grand public les comportements sexistes et violences sexuelles régnant depuis de nombreuses années dans le milieu hospitalier, ainsi que l’omerta et l’impunité qui vont avec. Deux réactions ont alors pu être observées.  D’un côté le déni, généralement soutenu par des exemples individuels pour refuser d’admettre l’inavouable dérive collective et systémique (« dans notre spécialité / dans notre service, on a jamais eu ce problème ») et la victimisation (« vous ne comprenez pas, c’est de l’humour carabin », « on ne peut plus rien dire ! »). Car la banalisation des comportements sexistes a conduit à une forme d’acceptation proche du syndrome de Stockholm, et quand la norme est dysfonctionnelle, s’en écarter nécessite en soi un effort. De l’autre, l’engagement sincère de celles et ceux qui ont choisi de ne plus cautionner de tels excès jetant l’opprobre sur la profession. Un clivage qui peut paraître dissociatif mais qui en fait correspond à un cheminement logique, presque générationnel, que nous devons accepter car constructif et finalement nécessaire au changement des mentalités. Schopenhauer disait : « Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence ».

Les jeux de politique et de pouvoir qui ont suivis, depuis la dissolution de l’assemblée aux motions de censure, ont malheureusement mis un frein à l’une des grandes causes du quinquennat, l’égalité professionnelle. Alors qu’une première réunion au Ministère de la Santé, réunissant toutes les parties impliquées (CNG, conférence des doyens, conférence des présidents de CME, association d’étudiants et Donner des Elles à la Santé), avait permis de dresser le constat et d’avancer des propositions d’actions concrètes dans la lutte contre les Violences Sexistes et Sexuelles à l’hôpital, le remaniement ministériel a rebattu les cartes et nous a fait perdre quelques jokers… Là où l’on attendait de la consolidation, on a pu voir les politiques, hommes et femmes, déserter le terrain et annuler leur présence à des évènements pertinents au profit de réunions ministérielles de la plus haute importance mais qui indéniablement ne changeraient rien au marasme politico-économique en marche…

Le reste du monde nous offre une encore plus triste vision de l’avenir des femmes dans nos sociétés. Victime d’un obscurantisme guidé par le communautarisme, les talibans réduisent les femmes au silence, les invisibilisant ainsi définitivement en leur ôtant jusqu’au droit de manifester leur intériorité, leurs sentiments ou leurs idées. Ailleurs (mais pas très loin quand même), les « tout-puissants » redéfinissent les règles de la gouvernance mondiale dans une forme de masculinité toxique. Exit les Sanna Marin et Jacinda Ardern, qui au pied de la falaise de verre nous ont rappelé que tout pèse un peu plus lourd lorsqu’on est une femme… Bonjour Poutine, Netanyahu et Trump, avec leur égo belliqueux et leur soif de pouvoir. Aujourd’hui les ficelles de notre fragile équilibre géopolitique sont entre les mains d’hommes dont le mépris d’autrui prime sur toutes formes de coopération. Et là où les populations sont opprimées, les femmes en sont toujours les premières victimes.

Enfin, l’année se termine avec le procès des viols de Mazan, où Gisèle Pélicot, en véritable héroïne des temps modernes, autorise la levée du huis clos et permet ainsi la médiatisation de ce que l’on qualifiera tous comme l’Horreur (avec un grand H). Des viols sous soumission chimique, infligés par le mari, et impliquant plus de 50 autres hommes lambda dans un périmètre géographique restreint. Pas des pervers sexuels clairement étiquetés, mais des « monsieur tout-le-monde », de ceux qu’on peut croiser dans la rue. Avec des verbatims absolument incroyables : « son mari m’a dit que j’avais le droit », « je ne pensais pas que c’était un viol vu que je ne l’ai pas forcée » ou bien encore « je ne savais pas qu’elle dormait, je croyais qu’elle était morte ». Si ce procès marque indéniablement un tournant dans l’histoire de la définition du consentement, il soulève surtout la peur de voir s’immiscer l’horreur partout dans notre société, pas seulement au bout du monde, loin de nos yeux et donc de notre culpabilité propre, mais au cœur de notre village, aux portes de notre foyer, dans l’intimité de nos familles, et au plus profond de nous-mêmes.

Ainsi s’achève 2024, laissant place au travail d’introspection avant de tourner une nouvelle page de l’histoire.

Dr Geraldine Pignot

8 Commentaires

  1. Merci pour cette analyse pertinente et nuancée de l’année 2024, qui met en lumière les avancées mais aussi les défis persistants en matière d’égalité et de respect des droits des femmes.

    En tant que professionnel de santé, je suis particulièrement interpellé par le mouvement #MeToo Hôpital. Il est temps que notre milieu, souvent idéalisé comme un espace de soin et de bienveillance, fasse son propre examen de conscience. Les comportements sexistes et les violences ne devraient jamais être tolérés, et les efforts pour dénoncer ces dérives doivent être soutenus, même face à l’inertie ou à la résistance.

    Par ailleurs, les freins politiques évoqués sont un rappel cruel de la fragilité des avancées dans ce domaine. Ces revers ne doivent pas décourager mais, au contraire, renforcer la détermination collective à agir, en particulier dans nos sphères professionnelles respectives.

    Enfin, le procès des viols de Mazan est un véritable électrochoc. Il souligne la nécessité de repenser profondément le rapport au consentement et de renforcer l’éducation sur ce sujet dès le plus jeune âge.

    Je tiens également à saluer l’engagement de Géraldine, qui, au-delà de son rôle de chirurgienne urologue à l’Institut Paoli-Calmettes, s’investit pleinement pour faire avancer l’égalité professionnelle et sensibiliser aux violences sexistes et sexuelles dans le milieu médical. Son travail avec l’association Donner des ELLES à la Santé et son récent grade de Chevalier de l’Ordre national du Mérite témoignent de son implication remarquable. Ces initiatives sont essentielles pour inspirer et guider le changement que notre société attend.

    • Merci Cédric pour ton soutien et ton ouverture d’esprit. La prise de conscience collective permet effectivement d’espérer de belles choses pour l’avenir et l’engagement de toutes et tous, chacun à son niveau, est la clé. N’oublions pas que les générations futures nous regardent. Simone Veil disait : « Il restera de toi ce que tu as donné. »

  2. Madame et chère collègue,

    J’ai lu avec intérêt votre article dans votre blog avec des positions que je partage pour la plupart. IL y en a toutefois une qui m’a surpris .
    Je n’ai jamais entendu que Benjamin NETANYAHOU se soit attaqué aux femmes. Ce n’est pas spécialement son combat. Par contre je relève votre silence assourdissant concernant les otages israéliens qui croupissent depuis bientôt un an et demi dans les tunels de GAZA. Il y a parmis eux un certains nombre de femmes et notamment de jeunes femmes qui étaient simplement venus danser ce soir là. Et qui sont probablement aujourd’hui tout autant violées que celles qui vous émeuvent, voir victimes de grossesses puisque le viol est aujourd’hui une arme de guerre.
    L’indignation ne doit pas être sélective.
    Bien confraternelement.

    • Je ne parle ni des otages israéliens, ni des victimes palestiniennes. Le débat ici ne porte pas sur le conflit israélo-palestinien, mais sur l’idéologie de guerre véhiculée par certains dirigeants, quel qu’en soit la religion ou le pays, car les femmes en sont toujours victimes.

  3. Aucune réserve sur vos propos. Je me permets une remarque à propos de la motion de censure : elle est la preuve du retour des politiques ringardes des partis traditionnels imbibés de machisme quoi qu’ils en disent. L'(ex) majorité a fait des avancées (ne serait-ce que pour l’IVG comme vous le dites, mais aussi les chantiers qui s’ouvraient et maintenant sous le boisseau). Ce retour de ceux que je nomme souvent « les assis » , n’augure rien de particulièrement enthousiasmant pour la cause des femmes en dehors (peut-être de mesurettes de façades qui arriveront ?). Peut-être faudra-t-il s’en souvenir dans les années qui viennent et veiller à cesser de se laisser porter par les flots populistes de certains réseaux dits sociaux. dont les modes de pensée restent « mâles » et archaïques.

  4. Je suis assez surpris qu’un médecin se permette de faire un billet aussi mono-genré . Madame Pignot pourrait-elle cogiter un peu sur les situations (y compris en santé publique) où les hommes sont désavantagés par rapport aux femmes ?

    • Je serai ravie que vous m’apportiez vos références concernant ces situations où les hommes sont désavantagés par rapport au femmes.
      Pour ma part, je vous apporte quelques chiffres pour vous montrer que malheureusement la situation inverse reste bien souvent prépondérante : les hommes sont mis en cause dans 99% des viols, 96% des violences au sein du couple, 86% des homicides volontaires, 84% des accidents de la route mortels, 75% de situations de traite ou exploitation d’êtres humains,… Je vous invite à découvrir l’excellent livre de Lucile Peytavin « Le coût de la virilité », qui vous aidera peut-être à comprendre que ce billet est loin d’être mono-genré, bien au contraire les hommes peuvent également en tirer un certain bénéfice s’ils s’engagent dans une réflexion plus large que la simple opposition des genres.

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