La santé des femmes est au cœur des débats et, ce qui était pendant longtemps considéré comme un non-sujet devient aujourd’hui une priorité nationale. Et pour cause, les exemples sont aujourd’hui nombreux pour nourrir la thèse des inégalités dans la prévention et dans la prise en charge thérapeutique des femmes, à commencer par les maladies cardio-vasculaires qui représentent la première cause de mortalité féminine. A âge égal, la mortalité du syndrome coronarien aigu chez la femme est plus importante que chez l’homme, et ce de manière probablement multifactorielle : dépistage insuffisant des facteurs de risque cardio-vasculaires, risques hormonaux spécifiques, symptômes souvent atypiques entrainant des errances diagnostiques, minimisation des symptômes engendrant des retards de prise en charge [1,2]. Une étude de la Fédération Française de Cardiologie révèle par ailleurs que 68% des femmes s’occupent de la santé d’un des membres de leur famille avant de s’occuper de la leur.
Au-delà du diagnostic, en termes de prise en charge thérapeutique, les inégalités liées au genre persistent. En tant qu’urologue, la problématique des tumeurs de vessie chez la femme me semble être un exemple criant. Outre le retard diagnostique (lié là encore à des symptômes atypiques et souvent minimisés : « ce doit être une infection urinaire ! »), la majorité des femmes vont se voir proposer une pelvectomie antérieure, c’est-à-dire une ablation de la vessie, mais également de l’utérus, des ovaires et d’une partie du vagin, au lieu de discuter d’une préservation des organes génitaux. Outre l’impact sur la qualité de vie globale et sexuelle (dyspareunies), le risque cardio-vasculaire est là-encore majoré par l’ablation systématique des ovaires, même chez des patientes déjà ménopausées. Double peine, on leur impose plus souvent que les hommes une dérivation externe par Bricker (stomie urinaire), là où un remplacement vésical interne peut dans la majorité des cas être discuté. Enfin, 82% des patientes déclarent recevoir une information pré-opératoire insuffisante concernant l’impact de cette chirurgie sur leur sexualité [3].
Les femmes sont également sous-représentées dans les essais cliniques, et les résultats de ceux-ci sont donc difficilement généralisables ; les caractéristiques intrinsèques, génomiques et/ou hormonales, des femmes peuvent expliquer une efficacité thérapeutique ou une toxicité des traitements parfois différentes [4,5].
Enfin, la parole des femmes n’a pas la même valeur que celles des hommes. Sans revenir sur la notion de manterrupting déjà évoqué dans un précédent article (les femmes sont interrompues en moyenne 3 fois plus que les hommes), le Dr Pauline Belenotti, médecin interniste à Marseille, rapporte dans une récente lettre ouverte la différence de prise en charge médicale entre les hommes et les femmes : « Combien ai-je rencontré de femmes malades, dans ma pratique de médecin interniste, qui se sont vu rétorquer : “Les examens sont normaux, vous n’avez rien, c’est dans votre tête, vous êtes folle” ? » [6]. Les récents débats autour de l’endométriose nous le rappellent bien et expliquent l’engouement des Ministères aujourd’hui en matière de Prévention et d’Equité autour de la Santé des Femmes [7].
Ces différents exemples nous rappellent à quel point nous sommes aujourd’hui dans un système de santé fait « par les hommes pour les hommes », et nous incitent à une remise en question pour adapter nos parcours de soins et briser les stéréotypes de genre. Car ces stéréotypes, bien ancrés dans la culture médicale, ne concernent malheureusement pas que les médecins et infirmières, mais également les patientes. L’erreur serait de penser que l’Intelligence Artificielle permettra bientôt de corriger ces biais humains, mais là-encore il s’agit d’un vœu pieu ; le laboratoire de l’égalité nous le rappelle bien en soulignant que « les bases de données qui alimentent l’apprentissage des algorithmes reflètent fidèlement les inégalités qui existent encore dans les sociétés, compte tenu des processus de sélection automatiques et de la prédominance historique et actuelle des hommes dans la production d’informations » (« garbage in, garbage out ») [8].
Il y a quelques mois, j’ai été auditionnée, avec l’équipe de Donner des Elles à la Santé, à l’Assemblée Nationale par l’équipe de Marie-Pierre RIXAIN sur cette question de la Santé des femmes. En toute humilité (et probablement encore bercées par notre syndrome de l’imposteur si ancré en chacune de nous…), nous avons d’abord répondu que ce n’était pas notre thématique et que nous étions davantage impliquées dans la féminisation des postes à responsabilité à l’hôpital. Mais rapidement, nous avons compris à quel point les deux sujets étaient intimement liés et que la prise en charge des femmes, en tenant compte de leur spécificité propre, allait de manière inhérente être optimisée par l’arrivée des femmes sur les postes décisionnaires. Un rapport de l’OMS confirme effectivement que, dans le domaine de la santé, les femmes occupant des postes de direction ont tendance à étoffer le programme de santé pour tous et à accélérer les progrès vers la couverture sanitaire universelle [9]. Plusieurs publications soulignent également que l’égalité femmes-hommes dans les domaines de la science, de la médecine et de la santé mondiale peut conduire à des gains sanitaires, sociaux et économiques substantiels [10].
C’est donc un levier formidable que les instances peuvent aujourd’hui activer pour entrer dans un cercle vertueux qui profitera aussi bien aux soignantes qu’aux patientes.
Pour aller plus loin :
- Association Agir pour le cœur des Femmes : https://www.agirpourlecoeurdesfemmes.com/
- Femmes et AVC : https://vaincrelavc.org/femmes-et-avc/
- Westerman ME, Bree KK, Kokorovic A, Frank J, Wang XS, Kamat AM, et al. What women want: radical cystectomy and perioperative sexual function educational needs. Urology. 2021;157: 181–7.
- Batra N, Miyagi H, Bozorgmehri S, et al. Gender disparities in the clinical trials and real-world utilization of systemic therapy in the management of urothelial carcinoma. Paper presented at: 2022 Society of Women in Urology Annual Clinical Mentoring Conference; February 7-9, 2022; New Orleans, Louisiana. Poster 6176.
- D’Andrea D, Black PC, Zargar H, et al. Impact of sex on response to neoadjuvant chemotherapy in patients with bladder cancer. Urol Oncol 2020 Jul;38(7):639.e1-639.e9.
- https://www.elle.fr/Societe/News/Lettre-ouverte-d-une-medecin-en-colere-Toutes-ces-patientes-avaient-le-defaut-d-etre-jeunes-4119874#xtor=CS6-915
- https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie-endometriose.pdf
- https://www.laboratoiredelegalite.org/le-pacte-pour-une-intelligence-artificielle-egalitaire-entre-les-femmes-et-les-hommes/
- https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/forumgenerationegalite_documentpresentation-2.pdf
- Shannon G, Jansen M, Williams K, et al. Gender equality in science, medicine, and global health: where are we at and why does it matter? Lancet 2019 Feb 9;393(10171):560-569.
dans l hopital local ou j ai travaille longtemps , ma Femme encore actuellement, 90% des postes de direction sont occupes par des Femmes. La maltraitance des soigants est a son comble, au point de declencher une enquete ARS.. comme quoi dr P, c est bien de faire de la bibliographie, peut etre commencer par aller sur le terrain..
Je pense que vous avez mal compris le propos : l’hypothèse n’est pas de dire que les femmes exercent le pouvoir différemment. C’est la mixité qui favorise un exercice du pouvoir différent. Comprendre : Femmes et hommes « ensemble », et en intégrant également d’autres aspects de la mixité que celui du genre.
Bel exemple d’esprit magique : la prise en charge médicale des femmes serait insuffisante. Mettons des femmes aux poste d’autorité et ça ira mieux.
Les garçons ont de moins bons résultat, mettons des hommes comme professeurs, des fous comme psychiatres, …
Rien de magique là-dedans, mais sans doute une mauvaise interprétation de votre part : l’hypothèse n’est pas de dire que les femmes exercent le pouvoir différemment, mais que c’est la mixité qui favorise un exercice du pouvoir différent.
Je vous signale un article récent (2023) en accès libre:
“Gender and sex bias in prevention and clinical treatment of women’s chronic pain: hypotheses of a curriculum development“ de Chiara Moretti (Front. Med. 10:1189126.doi: 10.3389/fmed.2023.1189126
Le sujet est important dans le cadre de la douleur chronique.
Merci, vous avez parfaitement raison, la douleur chronique est une thématique dans laquelle les biais genrés sont importants.
Joli site je vous félicite
https://www.chirurgie-geneve.com