« Des hommes justes », c’est le titre du roman de Ivan Jablonka qui nous explique que les hommes ont un rôle à jouer dans la transformation des masculinités et la fin du patriarcat. Car oui, les hommes sont également victimes d’une forme de masculinité qui leur est imposée et dans laquelle les stéréotypes et injonctions sociétales ne leur épargnent aucun écart. Parce qu’un homme doit être fort et courageux (comme sur ces petits bodys d’une célèbre marque de vêtements pour enfants où l’on apprend que les filles doivent à l’inverse être douces et gentilles… (cf illustration) ou comme dans cette chanson d’Eddy De Pretto qui dénonce une « virilité abusive » imposée aux garçons dès leur jeune âge), alors toute forme de vulnérabilité leur est refusée. La récente évolution dans la durée du congé paternité l’a révélé brutalement et certains collègues à l’hôpital se sont entendus dire : « Tu ne vas quand même pas prendre un mois pour ton congé paternité ? Tu as ta femme qui peut s’en occuper ». Injonction sociétale qui place la femme en première ligne dans l’éducation des enfants et la tenue du foyer, là où l’homme aura parfois du mal à trouver sa place par manque de temps, d’autonomie, ou de management participatif de la part de sa compagne.
Pauvres hommes également quand les baromètres et enquêtes diverses annoncent des chiffres alarmants quant aux comportement discriminatoires et sexistes. Si 80% des femmes ont déjà été victimes de comportement sexistes (voire d’attouchements sexuels pour 30% d’entre elles), 77% des hommes avouent en avoir été témoins. Il est de bonne guerre de rappeler que ces 80% de femmes sont importunées par 10% des hommes, ceux pour qui la masculinité toxique est la marque de fabrique, ceux que personne n’excuse plus, même au titre d’un gap générationnel, ceux qui jettent l’opprobre sur le reste de la communauté masculine.
Pourtant, rester simple témoin de ces comportements, de ces paroles, c’est cautionner et l’assimilation de groupe fera le reste. « Not all men, but every men » (comprendre : « not all men are part of the problem, every man can – and should – be part of the solution »). Les débats actuels vont bon train sur la responsabilité qui repose sur chacun d’entre nous, hommes comme femmes, et l’importance de s’emparer de ces sujets pour faire évoluer les mentalités.
Au milieu du tumulte, certains hommes ont déjà pris la mesure du problème. Confrontés à un regain des masculinistes qui dénonce un « wokisme » dont ils ne connaissent pas la définition et qu’ils rejettent aveuglément comme un danger imminent menaçant leur pré carré, certains font entendre leur voix. La voix de la sagesse, celle qui réunit mais n’oppose pas, celle qui légitimise au lieu de discréditer, celle qui écoute plutôt que de silencier. Ces hommes supportifs sont des alliés de poids, car eux seuls peuvent faire vaciller les piliers du temple, dans une organisation sociétale qui leur a naturellement donné l’autorisation de dénoncer et de remettre en question. Leur voix sera écoutée davantage, notamment par leurs homologues masculins, car leur discours est dépassionné et qu’ils ne sont pas directement concernés.
Directement concernés, ils le sont en fait, et en ont pris conscience. Les violences masculinistes et mouvements anti-féministes menacent en fait un équilibre sain, celui qui permet aux minorités et aux opprimés de s’exprimer afin de tendre vers un monde plus équitaire. Car derrière les femmes, qui représentent la moitié de l’humanité, qu’en est-il des autres minorités invisibles qui seront également broyées par le système ? Qu’en est-il de l’avenir de nos enfants qui évolueront dans un monde de moins en moins tolérant, de moins en moins enclin à écouter l’autre, et à entendre les différences qui font la force d’une société ?
Leur positionnement est d’autant plus important que certaines femmes peuvent parfois douter. A force d’entendre que le féminisme est dangereux, elles s’en détachent pour ne pas être stigmatisée, par souci de conformité, ou par peur d’être rejetée par le groupe. Bien souvent, elles vont de Charybde en Scylla, prises dans le tourbillon d’une passe infranchissable, et finissent par s’y noyer. Quand la sororité vacille, c’est l’engagement des hommes justes qui sauvera le monde. Les récentes tribunes en sont la preuve ; les hommes sont capables de s’engager sincèrement sur ces sujets d’équité, d’aller au bout de leurs idées et d’accepter de « partager le gâteau » des privilèges qui leur sont acquis depuis des générations, pour permettre à une autre réalité d’exister, celle où le pouvoir est partagé et où les décisions se prennent de manière équilibrée. Dans un monde où les conflits sont devenus légion et où la suprématie des uns sur les autres reste le moteur de certains dirigeants, nous ne pouvons qu’espérer des « hommes justes » pour renverser les codes d’une domination toxique encore bien en place. Des hommes égalitaires, épris de respect plus que de pouvoir. « Juste des hommes, mais des hommes justes. ».
Référence : « Des hommes justes: Du patriarcat aux nouvelles masculinités. » de Ivan Jablonka, éditions Média Diffusion, 2019
